Par Sandrine Bavard, 10/11/2017

Aucun président brésilien n’aura été aussi populaire que lui. Lula, l’ancien ouvrier devenu une figure altermondialiste, en fonction de 2003 à 2010, a réduit la pauvreté dans le pays et redressé la santé économique du Brésil. Mais son image est aujourd’hui ternie par des scandales de corruption.


Lula : le fils du Brésil. Le titre du film de Fabio Barreto, sorti en 2009, résume parfaitement le lien qui unit les Brésiliens à leur ancien président, au destin hors du commun : celui d’un garçon pauvre du Nordeste obligé de fuir la campagne pour gagner sa vie en ville (dans lequel beaucoup de Brésiliens peuvent se reconnaître) et qui, simple ouvrier métallurgiste, est devenu Président de la République, de quoi susciter l’espoir chez des millions de personnes en quête d’un avenir meilleur.
Luiz Inácio Lula da Silva, dit Lula, est né en 1945 dans le village de Caetés dans l’Etat du Pernambouc, dans une famille de paysans composée de 8 enfants, sans le sou et sans éducation. La famille migre dans la région de São Paulo pour subvenir à ses besoins, et les enfants sont mis à contribution : le jeune Lula est tantôt vendeur de cacahuètes, pêcheur de crabes, ou cireur de chaussures… A 14 ans, il est embauché comme tourneur dans une entreprise de métallurgie et y perd un doigt lors d’un accident de travail.

Syndicaliste sous la dictature


Lula n’a pas 20 ans quand le Brésil bascule dans la dictature, après le coup d’état militaire mené en 1964 par le maréchal Castelo Branco qui prétend protéger le pays de la menace communiste : avec lui, le Brésil ne sera pas un deuxième Cuba ! Au nom de la sûreté nationale, le régime traque, expulse, emprisonne et même torture les opposants politiques ou personnes considérées comme dangereuses.
Parmi elles figurent évidemment les militants syndicaux, et c’est donc dans la clandestinité et par l’intermédiaire de son frère que Lula entre au Syndicat des ouvriers de la métallurgie de São Bernardo do Campo e Diadema à la fin des années 60.
Il y gravit un à un les échelons jusqu’à en prendre la tête en 1975 et devenir l’un des leaders des grandes grèves de 1979, revendiquant des hausses de salaires et rassemblant des centaines de milliers de Brésiliens dans la lutte. Lula, brillant orateur, séduit les foules mais inquiète le pouvoir qui l’envoie en prison quelques jours. Trop tard pour endiguer l’élan populaire.

A la tête du Parti des Travailleurs


Dans la foulée, en 1980, Lula fonde le Parti des Travailleurs (PT) pour représenter les intérêts de la classe ouvrière. A l’époque, c’est une petite révolution dans le paysage politique brésilien qui ne comptait que deux partis, celui du pouvoir conservateur (l’Alliance Rénovatrice Nationale) et un parti d’opposition toléré (Le Mouvement Démocratique du Brésil).
Le PT se déclare socialiste, considérant le capitalisme comme producteur d’inégalités sociales. Il rassemble un large spectre de la société brésilienne : des syndicalistes, des communistes, des trotskistes, des intellectuels, des leaders sociaux ou religieux… Ce nouveau parti trouve surtout un écho important dans la population ce qui lui permet de s’implanter rapidement dans tout le pays.
En 1986, Lula est élu député de l’Etat de São Paulo et siège à l’Assemblée constituante. Il ne mène pas seulement la lutte pour l’égalité sociale, mais milite pour le droit des citoyens, la tenue d’élections libres et se fera le chantre de la démocratie participative.

A la conquête du pouvoir


Quand les premières élections présidentielles démocratiques se profilent en 1989, Lula se présente mais échoue face à Fernando Collor de Mello. Après deux autres tentatives infructueuses en 1994 et 1998, Lula est élu le 27 octobre 2002 avec près de 53 millions de voix, soit 61 % des suffrages exprimés. Le premier président d’origine modeste, sans aucun diplôme de l’enseignement supérieur, qui n’appartient pas à l’élite politique et économique ! Le premier président de gauche aussi !



A son arrivée au pouvoir, la situation économique et sociale du Brésil est peu reluisante : dévaluation du real, inflation à deux chiffres, baisse du pouvoir d’achat et une dette qui représente quasiment 60% du PIB. Le FMI vient à la rescousse avec 30 milliards de dollars pour éviter au Brésil une faillite économique, et ses règles de conduite à respecter. Contre toute attente, Lula, héros altermondialiste, se plie aux règles du FMI et continue la politique de rigueur budgétaire de son prédécesseur. Mais il met fin aux privatisations et opte pour un rôle fort de l’état.

Un redressement économique


En huit ans de mandat _ il est réélu sans difficulté en 2006_ Lula se fait pragmatique, rassurant les classes dominantes et aisées, s’occupant des classes populaires qui sont le socle de son électorat.
Sur le plan économique, l’ancien métallo redresse la barre : les investissements sont conséquents pour rénover les infrastructures du pays, l’inflation est jugulée, la croissance augmente, le taux de chômage baisse, et une classe moyenne apparaît. Résultat : le Brésil devient la 8e puissance économique mondiale.
Sur le plan social, le président met en place des programmes de lutte contre la faim, la pauvreté et l’analphabétisme, attribuant une allocation familiale pour 12,4 millions de ménages ou encore une aide sociale pour les étudiants à l’université. Il revalorise le salaire minimum, élargit le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse et invalidité… En 2008, on compte 24 millions de pauvres en moins par rapport à 2003.Mais les inégalités sociales demeurent importantes notamment pour les « sans-terre » qui ne voient pas aboutir la réforme agraire promise.

Un leader à l’international


Sur le plan international, Lula fait du Brésil un acteur mondial incontournable : il devient porte-parole des pays émergents, développe les relations entre les pays du Sud, notamment sur le continent sud-américain, contribue à ce que le G8, rendez-vous des grands de ce monde, devienne G20. Il va jusqu’à revendiquer un siège au conseil des Nations Unies. En revanche, son bilan est beaucoup moins glorieux sur le plan environnemental et celui de la corruption.
Quand il quitte le pouvoir en 2010, Lula est crédité encore de près de 80% d’opinions favorables, ce qui lui permet de faire élire dans un fauteuil son héritière, Dilma Rousseff. Peu après, il annonce souffrir d’un cancer du larynx, mais parvient là aussi à gagner la bataille pour mieux revenir sur le devant de la scène, et vouloir briguer un troisième mandat en 2018.

Déboires judiciaires


Mais la candidature de Lula a pris du plomb dans l’aile depuis 2014 et l’enquête fédérale Lava Jato qui a révélé le plus gros scandale de corruption de l’histoire du Brésil, impliquant des partis politiques, des grandes entreprises du BTP et le géant pétrolier Petrobras. Lula, visé par cinq enquêtes judiciaires, a été condamné en juillet à près de 10 ans de prison pour corruption passive et blanchiment d’argent. Une décision dont il a fait appel.
Mais l’enquête se poursuit : en septembre 2016, l’ancien président, sa dauphine Dilma Rousseff et six autres membres du Parti des Travailleurs sont inculpés pour corruption, blanchiment d’argent et formation d’un cartel, toujours dans l’affaire Petrobras. Le Parti des Travailleurs est soupçonné d’avoir reçu près de 400 millions d’euros de pots-de-vin…


L’incroyable popularité de Lula résistera-t-elle à ces scandales à répétition ? Ou est-ce le verdict de la justice qui scellera son sort ?