Par Sandrine Bavard, 21/07/2017

Monument de la musique brésilienne, João Gilberto est, à 86 ans, reconnu comme le fondateur de la bossa nova avec son compositeur fétiche, Tom Jobim. Il s’est fait connaître dans le monde entier avec son interprétation de « The Girl from Ipanema ».


C’est l’histoire d’un homme, un peu désinvolte dans ses années de jeunesse, devenu perfectionniste et pointilleux au fil du temps, toujours un peu caractériel et capricieux, au point d’annuler ses concerts au dernier moment. C’est l’histoire d’un homme entré dans la légende de la musique brésilienne et de la musique tout court, tant il a inspiré de musiciens et décomplexé de chanteurs à la voix frêle sur tous les continents.

Cet homme, c’est João Gilberto Prado Pereira de Oliveira, né le 10 juin 1931 à Juazeiro, dans l’état de Bahia, au Nord du Brésil. Son grand-père lui offre sa première guitare à 14 ans, instrument dont il apprend à jouer en autodidacte. A sa majorité, le jeune homme part tenter sa chance à Salvador de Bahia, puis à Rio de Janeiro, où il intègre le groupe Garotos da Lua, des vedettes de la radio à l’époque… Malheureusement, l’expérience tourne court : João Gilberto est exclu après trois petits enregistrements à cause de son manque de professionnalisme, et notamment de ses retards répétés.


S’ensuit une période très précaire pour le chanteur et guitariste qui survit grâce à la générosité de ses amis et de ses proches, ce qui ne l’empêche pas de faire le difficile : il refuse de prendre des jobs alimentaires et de se produire dans des bars ou restaurants où les clients se montrent trop bruyants à son goût. Il passe alors ses journées à perfectionner son jeu de guitare et à fumer de la marijuana dit-on.

L’inventeur de la bossa nova


Il faudra attendre 1955 pour que João Gilberto se reprenne en main après sa rencontre avec le chanteur Luis Telles qui lui conseille de quitter Rio pour Porto Alegre : il l’oblige à une meilleure hygiène de vie et l’impose sur la scène artistique de la ville. En 1957, le jeune artiste fait une autre rencontre déterminante : celle du compositeur Tom Jobim avec qui il va signer l’acte de naissance de la bossa nova, une musique épurée, influencée par la samba et le jazz, mais avec des rythmes syncopés et variés.


Son premier album, « Chega de Saudade », paru en 1959, révolutionne la musique brésilienne. Il y a cette façon de chanter peu spectaculaire avec sa voix frêle et douce, et cette façon de jouer de la guitare toute personnelle qu’il appelle batida. Ce disque réalisé en collaboration avec le compositeur Tom Jobim et le poète Vinícius de Moraes le propulse immédiatement comme une vedette, avec des titres comme « Chega de saudade », « Rosa morena  » et « Brigas nunca ». Et surtout avec « Desafinado », « désaccordé », une réponse ironique aux détracteurs de la bossa nova : « Si tu dis que je chante faux, mon amour/ Sache que cela provoque en moi une immense douleur/ Seuls les privilégiés ont une oreille comme la tienne/ Je ne possède que ce que Dieu m’a donné ».

Fort de ce succès, Gilberto enregistre deux autres albums au début des années 60 : « O amor, o sorriso e a flor » puis « João Gilberto » qui contiennent de nouveaux tubes comme « Corcovado », des reprises comme « Samba da minha terra », des sambas des années 30 comme « A primeira vez « , mais toutes marquées désormais par la patte novatrice de Gilberto. Il va même s’attaquer à un standard de la musique italienne, « Estate » de Bruno Martino, qu’il réarrange dans un style bossa nova.

Un succès international


Ce nouveau style dépasse bientôt les frontières brésiliennes, et séduit particulièrement des jazzmen américains. Tom Jobim et João Gilberto partent aux Etats-Unis au début des années 60 pour collaborer avec le saxophoniste Stan Getz sur le fameux « Getz/ Gilberto » en 1964 qui deviendra un des disques de jazz les plus vendus au monde.


Un succès notamment dû au tube « The Girl from Ipanema » qui gagne ses lettres de noblesse quand elle est reprise par des artistes aussi prestigieux que Frank Sinatra, Nat King Cole, ou Ella Fitzgerald. Un succès confirmé par la tenue d’un concert historique au Carnegie Hall à New-York, qui fera l’objet d’une nouvelle édition, « Getz/Gilberto #2 » en 1966.